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16.10.11

Vassili Alexanian, une interview inédite.

Le 6 octobre, Vassili Alexanian a été enterré au cimetière Khovanski de Moscou. Il avait été remis en liberté en janvier 2008, après deux ans et demi de détention provisoire et en échange d’une caution de 50 millions de roubles. Durant sa détention il avait refusé de témoigner à charge contre Mikhail Khodorkovski et Platon Lebedev, ce que l’on exigeait de lui pour le libérer. Dans les rares moments où Alexanian ne se sentait pas trop mal, il racontait au journal russe The New Times comment on continuait à le harceler, lui et ses proches. Il repoussait la publication de cette interview pour ne pas risquer de nuire par ses jugements tranchés à ses collègues encore emprisonnés. Après son décès The New Times publie des extraits de ces discussions.

Après la mort en détention provisoire de Sergueï Magnitsky, le juriste du fond d’investissements Hermitage Capital, on a commencé a évoquer publiquement l’état de la médecine pénitentiaire. On peut recevoir des soins en prison ?

Je voudrais pouvoir oublier ce cauchemar. C’est un enfer, dans lequel des gens ordinaires se rendent « à leur travail » et font le mal. Cela ne leur pose aucun problème. Si à la suite de mon cas on avait pris des mesures radicale, Sergueï Magnitsky serait encore en vie, Dieu ait son âme… Il aurait fallu priver à temps tous ces gens de leurs possibilités de faire le mal. A l’intérieur de la prison, vous n’arriverez jamais à vous y retrouver, ils se couvrent tous réciproquement, leur seul souci, c’est d’échapper à leurs responsabilités. Ils pondent des papiers, des attestations… A la « Matrosska » (la prison Matrosskaya Tishina), ce qu’il faut, ce n’est pas inspecter les cellules, c’est simplement se rendre à la morgue et demander – C’est qui ? Et lui, c’est qui ?

Pourquoi est-ce que l’on refusait de vous transférer dans un hôpital civil, alors que vous étiez gravement malade ?

Quand j’étais en prison, des gens venaient me voir et me disaient que Setchine [Igor Setchine est vice-premier ministre de la Fédération de Russie, PDG de Rosneft et ami proche de Poutine. Il est considéré comme le "commanditaire" de l'Affaire Yukos. NdT.] avait donné l’ordre de ne pas me laisser sortir vivant. Voilà le genre d’histoire à faire peur qu’on me transmettait.

Qui ? Les enquêteurs ? Les policiers ?

C’est très compliqué à expliquer. Ca peut prendre des formes différentes en prison. On te colle un nouveau voisin de cellule et il te chuchote quelque chose à l’oreille, ou bien soudain on te transfère quelque part et le chef d’escorte raconte quelque chose dans ton dos… Toutes leurs méthodes de pression psychologique sont au point depuis longtemps.

Après votre libération, on vous a laissé tranquille ?

Non, ils me harcèlent sans arrêt. C’est insupportable à vivre. Ils terrorisent les gens qui travaillent avec moi, qui essaient de m’aider. Je ne veux pas que d’autres personnes en pâtissent ! Mon chauffeur s’est fait arrêter deux fois, pour avoir soi-disant renversé un piéton, ou bien causé un accident et pris la fuite. Alors que la voiture était restée au garage toute la semaine ! Ils n’arrivent même pas à se mettre d’accord sur l’histoire : à un poste de police ils disent une chose, à un autre poste, ils donnent une autre version. Le chauffeur m’appelle, complètement paniqué, je contacte mes avocats… Le pouvoir ne me laisse pas tranquille un instant. Mes parents deviennent fous, ils ont peur qu’on me renvoie en prison et qu’on ne me laisse plus jamais sortir.

Mais pourtant le dossier est clos, pourquoi est-ce qu’on ne vous fiche pas la paix ?

Ils harcèlent tous ceux qui me viennent en aide. Par exemple, le médecin qui me maintient à flots. Même lui, ils sont allés le trouver.

Ils veulent qu’il cesse de vous soigner ?

Il lui ont dit : « On l’a laissé sortir en comptant qu’il mourrait dans l’année. »

Carrément ?!

C’est ce qu’il lui ont dit en face. Le problème aussi, c’est que je continue à dépendre d’eux. Tous mes biens sont encore sous séquestre, bien que le dossier dans le cadre duquel la mise sous séquestre a été prononcée soit clos. La juge l’a fait à dessein, sans dissimuler nullement ses motifs. Elle a dit littéralement : « On ne sait jamais, peut-être qu’il sera encore inculpé de quelque chose ? » De sa part c’est un délit caractérisé contre la justice. Ma maison et mon véhicule sont sous séquestre. Je ne peux pas en disposer, les vendre, je peux juste habiter dans la maison. Quant aux biens qui ont été confisqués au moment de la perquisition au titre de pièces à conviction – essentiellement de l’argent liquide, des montres (qui pour le coup n’ont rien à voir avec les actions qu’on m’accuse d’avoir détournées), ils ont tout simplement disparu, alors que les pièces à conviction doivent être conservées avec le dossier et restituées en cas de clôture. En fait ils se les sont tout simplement mises dans la poche, et aucune de mes demandes de restitution n’a reçu de réponse. Quand ils ont pris les montres, ça m’a fait rire et j’ai demandé si par hasard je n’étais pas aussi accusé d’avoir cambriolé une horlogerie. Il faut croire que quelqu’un les porte aujourd’hui au poignet – que leurs mains se dessèchent !!! (pardon, Seigneur...!)

Pourquoi ne partez-vous pas à l’étranger vous faire soigner ?

Les anglais ne m’ont pas accordé de visa. Ils m’ont fourni une explication idiote, soi-disant je n’aurais pas apporté de preuves convaincantes que je reviendrai ensuite en Russie. J’ai un enfant de huit ans à charge, des parents de 73 ans, ce n’est pas suffisant peut-être ? Il faut croire qu’il y a d’autres raisons. Sans doute qu’ils ont peur que je décède là-bas, mais je n’en ai pas du tout l’intention ! Ils m’ont refusé le visa en octobre dernier. Vous pouvez l’écrire – j’estime que c’est une honte ! Mon médecin traitant habite à Londres, c’est lui qui m’avait soutenu devant la Cour Européenne au moment du jugement. J’ai besoin d’aller le voir, de passer des tests médicaux, pour déterminer la suite du traitement. Depuis 1993 je me suis rendu en Grande-Bretagne une soixantaine de fois. Et depuis que l’on m’a rendu mon passeport, j’ai été plusieurs fois à l’étranger, j’ai vu différents médecins. Et je ne suis resté nulle part, je n’ai demandé aucune aide, je n’ai pas demandé l’asile politique. Mais les anglais me refusent l’entrée sur leur territoire…

Interview menée par la journaliste russe Zoïa Svetova, traduction: l'Observatrice

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7.10.11

Vassili, le dernier adieu.

Nous nous sommes retrouvés dans la cour de l'immense cimetière Khovansky, à la périphérie de Moscou, ce jeudi, pour un dernier adieu à Vassili Alexanian. Nous - un peu plus d'une centaine de personnes, alors que je pensais que nous serions des milliers. Nous - la famille et les amis du défunt, ses anciens collègues, les journalistes qui ont suivi son procès, quelques défenseurs des droits de l'homme, et des anonymes sans statut particulier, venus simplement témoigner de leur peine et de leur solidarité.
Jounaliste, avocat, blogueur, ami de la famille... les frontières, depuis le temps, sont devenues floues - le père de Mikhail Khodorkovski vient me demander si je n'ai pas trop froid (il souffle un vent glacial en ce triste automne moscovite)... Le père de Vassili Alexanian fait preuve d'une dignité et d'une gentillesse bouleversante. Nous nous connaissons tous, de nom ou de vue, pour s'être croisés dans un couloir de tribunal, une conférence de presse ou une manif. Depuis près de 10 ans que dure cette affaire absurde et cruelle, nous en sommes venus à former une sorte de grande famille aux liens distants, qui se retrouve lors des grands évènements "familiaux". Nous vieillissons ensemble, nous ici, en liberté, eux là-bas, de l'autre côté des barbelés, dans les cages à barreaux d'acier, dans les prisons de haute-sécurité...
Mais il ne vieillira plus, celui que nous accompagnons aujourd'hui dans son dernier voyage, que nous laisserons dernière nous en quittant cette salle, celui qui était le plus jeune, le plus doué, le plus ardent de cette équipe brillante et solidaire, celui qui a poussé la loyauté jusqu'à la mort, qui a refusé de se sauver en accusant des innocents, tout en sachant qu'ils seraient condamnés tout de même, avec ou sans son témoignage.
Je redoutais une cérémonie civile avec des discours, mais c'est une cérémonie religieuse, très simple, suivant le rite arménien. Un jeune prêtre lit la prière des morts et rappelle combien la vie humaine est pauvre et fragile sans la Foi. Vassili était croyant, passionnément. C'était ce qui lui donnait sa force. Comme c'est l'usage dans l'Eglise orthodoxe, le cercueil est exposé, ouvert, au milieu de la salle, et je ne suis pas près d'oublier le beau visage pale et sévère, figé dans la mort. Reposez en paix, Vassili...


Protège-moi, Seigneur, du vent glacé de la mort qui me tourmente.
Que l'Esprit tout-puissant de Ta paix me recouvre.
Gloire à Toi pour les siècles des siècles. Amen.

Grégoire de Narek, poète arménien du Xe siècle.

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3.10.11

Vassili Alexanian est décédé

Aujourd'hui 3 octobre 2011 Vassili Alexanian est décédé à son domicile des environs de Moscou, entouré de ses proches. Le jeune avocat, diplômé de l'Université de Moscou et de Harvard aurait dû fêter ses quarante ans le 15 décembre prochain. Mais les deux années passées en détention provisoire, privé de soins alors qu'il était séropositif, ont eu raison de ses forces. Arrêté le 6 avril 2006, quelques jours seulement après sa nomination à la tête de la compagnie pétrolière Yukos, il avait subi pendant ses deux ans de détention un chantage odieux destiné à le forcer à témoigner contre son ancien patron, Mikhail Khodorkovsky. Maintenu dans ces cellules insalubres, non chauffées, sans accès aux antirétroviraux qui auraient pu freiner l'évolution de la maladie, il avait vu sa santé décliner rapidement: sida, tuberculose, lymphome... Après trois décisions de la Cour Européenne de Justice et une mobilisation sans précédent en Russie et à l'étranger, il avait été transféré le 8 février 2008 dans une clinique civile, où il était resté sous escorte, parfois attaché par une chaine sur son lit d'hôpital, jusqu'au 30 décembre 2008, date de sa libération sous caution. Le 24 juin 2010, les poursuites contre lui avaient été abandonnées à la fin du délai de prescription.

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Pourquoi l'Observatoire?


L'arrestation du PDG de la compagnie pétrolière russe YUKOS Mikhail Khodorkovsky marque un tournant important dans l'histoire de la Russie contemporaine. Incarcéré le 25 octobre 2003, il a été condamné à l'issue d'un procès inquisitorial à huit ans de camp de travail.



M. Khodorkovsky durant son procès


Son directeur financier, Platon Lebedev, a reçu la même peine. La dureté de ce traitement, disproportionnée par rapport aux faits qui leur sont reprochés, laisse supposer des motifs politiques dans l'affaire YUKOS : Mikhail Khodorkovsky est en effet connu pour ses convictions libérales et pour le soutien financier qu'il a apporté aux partis d'opposition lors des dernières élections.
Parallèlement, la compagnie YUKOS dont il était également le principal actionnaire a été soumise à des redressements fiscaux successifs toujours plus exorbitants, qui ont servi de prétexte à confiscation de la plupart des actifs de la société.
Pour tenter de pallier un certain déficit d'information en langue française, je me propose de donner - dans la mesure de mon temps disponible - une couverture au jour le jour de ce qui est perçu en Russie comme "le procès du siècle".

L'Observatrice



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Vladimir Pereverzine, libre et révolté.

Bonne Année 2012 !

15 décembre.

Khodorkovsky - LE FILM.

Vassili Alexanian, une interview inédite.

Vassili, le dernier adieu.

Vassili Alexanian est décédé

Le Figaro: Au dernier jour de son procès, Khodorko...

Point final dans l'Affaire Alexanian

Le Figaro: Plus de procès pour un ancien de Ioukos



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L'affaire Yukos sur Internet


Centre de Presse de Mikhail Khodorkovsky
Centre de Presse de Mikhail Khodorkovsky (en anglais et en russe)

Centre de presse de Platon Lebedev
Centre de presse de Platon Lebedev en anglais et en russe

SOVEST - Groupe de soutien à Mikhail Khodorkovsky
Groupe "SOVEST" ("Conscience" en russe) : Groupe de soutien à Mikhail Khodorkovsky (en français)

The Mikhail Khodorkovsky Society
The Mikhail Khodorkovsky Society (blog anglophone)

Yukos Shareholders Coalition
Coalition des actionnaires de Yukos pour poursuivre en justice le gouvernement russe (anglais)

Dossier du journal Novaya Gazeta sur l'affaire Yukos
Dossier du journal d'opposition Novaya Gazeta sur l'affaire Yukos (en russe)

Fond Mission libérale
Excellent site du Fond "Mission libérale" (en russe). Sur l'affaire Yukos et, beaucoup plus largement, sur le libéralisme en Russie

Bibliographie


Je vous propose une sélection de documents en français, anglais ou russe


Sur le procès et l'affaire Yukos

Patrick Klugman : En défense de Mikhail Khodorkovski

André Gluksmann : Mikhail Khodorkovski prisonnier de la verticale du pouvoir

Film BBC "Russian Godfathers 2: The Prisoner" (Youtube, en 6 parties)

Rapport d'experts étrangers sur le déroulement du procès (eng, .pdf, 81 KB)

Analyse des accusations par les avocats de la défense (eng, .pdf, 153 KB)

Sur Mikhail Khodorkovsky

"Le roi du pétrôle piégé par ses ambitions", Hélène Depic-Popovic, Libération, 27.10.2003

"La mutation d'un oligarque", Nathalie Nougayrède, Le Monde, 21.11.2003

"A falling Tsar", Chrystia Freeland, The Financial Times, 01.11. 03 (eng)

"Yukos, a Case Study" by Konstantin Korotov, Stanislav Shekshnia, Elizabeth Florent-Treacy and Manfred Kets de Vries, (eng, .pdf, 589 KB)

L'affaire Yukos dans :


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