Le 6 octobre, Vassili Alexanian a été enterré au cimetière Khovanski de Moscou. Il avait été remis en liberté en janvier 2008, après deux ans et demi de détention provisoire et en échange d’une caution de 50 millions de roubles. Durant sa détention il avait refusé de témoigner à charge contre Mikhail Khodorkovski et Platon Lebedev, ce que l’on exigeait de lui pour le libérer. Dans les rares moments où Alexanian ne se sentait pas trop mal, il racontait au journal russe The New Times comment on continuait à le harceler, lui et ses proches. Il repoussait la publication de cette interview pour ne pas risquer de nuire par ses jugements tranchés à ses collègues encore emprisonnés. Après son décès The New Times publie des extraits de ces discussions. Après la mort en détention provisoire de Sergueï Magnitsky, le juriste du fond d’investissements Hermitage Capital, on a commencé a évoquer publiquement l’état de la médecine pénitentiaire. On peut recevoir des soins en prison ?Je voudrais pouvoir oublier ce cauchemar. C’est un enfer, dans lequel des gens ordinaires se rendent « à leur travail » et font le mal. Cela ne leur pose aucun problème. Si à la suite de mon cas on avait pris des mesures radicale, Sergueï Magnitsky serait encore en vie, Dieu ait son âme… Il aurait fallu priver à temps tous ces gens de leurs possibilités de faire le mal. A l’intérieur de la prison, vous n’arriverez jamais à vous y retrouver, ils se couvrent tous réciproquement, leur seul souci, c’est d’échapper à leurs responsabilités. Ils pondent des papiers, des attestations… A la « Matrosska » (la prison Matrosskaya Tishina), ce qu’il faut, ce n’est pas inspecter les cellules, c’est simplement se rendre à la morgue et demander – C’est qui ? Et lui, c’est qui ?
Pourquoi est-ce que l’on refusait de vous transférer dans un hôpital civil, alors que vous étiez gravement malade ?Quand j’étais en prison, des gens venaient me voir et me disaient que Setchine [Igor Setchine est vice-premier ministre de la Fédération de Russie, PDG de Rosneft et ami proche de Poutine. Il est considéré comme le "commanditaire" de l'Affaire Yukos. NdT.] avait donné l’ordre de ne pas me laisser sortir vivant. Voilà le genre d’histoire à faire peur qu’on me transmettait.
Qui ? Les enquêteurs ? Les policiers ?C’est très compliqué à expliquer. Ca peut prendre des formes différentes en prison. On te colle un nouveau voisin de cellule et il te chuchote quelque chose à l’oreille, ou bien soudain on te transfère quelque part et le chef d’escorte raconte quelque chose dans ton dos… Toutes leurs méthodes de pression psychologique sont au point depuis longtemps.
Après votre libération, on vous a laissé tranquille ?Non, ils me harcèlent sans arrêt. C’est insupportable à vivre. Ils terrorisent les gens qui travaillent avec moi, qui essaient de m’aider. Je ne veux pas que d’autres personnes en pâtissent ! Mon chauffeur s’est fait arrêter deux fois, pour avoir soi-disant renversé un piéton, ou bien causé un accident et pris la fuite. Alors que la voiture était restée au garage toute la semaine ! Ils n’arrivent même pas à se mettre d’accord sur l’histoire : à un poste de police ils disent une chose, à un autre poste, ils donnent une autre version. Le chauffeur m’appelle, complètement paniqué, je contacte mes avocats… Le pouvoir ne me laisse pas tranquille un instant. Mes parents deviennent fous, ils ont peur qu’on me renvoie en prison et qu’on ne me laisse plus jamais sortir.
Mais pourtant le dossier est clos, pourquoi est-ce qu’on ne vous fiche pas la paix ?Ils harcèlent tous ceux qui me viennent en aide. Par exemple, le médecin qui me maintient à flots. Même lui, ils sont allés le trouver.
Ils veulent qu’il cesse de vous soigner ?Il lui ont dit : « On l’a laissé sortir en comptant qu’il mourrait dans l’année. »
Carrément ?!C’est ce qu’il lui ont dit en face. Le problème aussi, c’est que je continue à dépendre d’eux. Tous mes biens sont encore sous séquestre, bien que le dossier dans le cadre duquel la mise sous séquestre a été prononcée soit clos. La juge l’a fait à dessein, sans dissimuler nullement ses motifs. Elle a dit littéralement : « On ne sait jamais, peut-être qu’il sera encore inculpé de quelque chose ? » De sa part c’est un délit caractérisé contre la justice. Ma maison et mon véhicule sont sous séquestre. Je ne peux pas en disposer, les vendre, je peux juste habiter dans la maison. Quant aux biens qui ont été confisqués au moment de la perquisition au titre de pièces à conviction – essentiellement de l’argent liquide, des montres (qui pour le coup n’ont rien à voir avec les actions qu’on m’accuse d’avoir détournées), ils ont tout simplement disparu, alors que les pièces à conviction doivent être conservées avec le dossier et restituées en cas de clôture. En fait ils se les sont tout simplement mises dans la poche, et aucune de mes demandes de restitution n’a reçu de réponse. Quand ils ont pris les montres, ça m’a fait rire et j’ai demandé si par hasard je n’étais pas aussi accusé d’avoir cambriolé une horlogerie. Il faut croire que quelqu’un les porte aujourd’hui au poignet – que leurs mains se dessèchent !!! (pardon, Seigneur...!)
Pourquoi ne partez-vous pas à l’étranger vous faire soigner ?Les anglais ne m’ont pas accordé de visa. Ils m’ont fourni une explication idiote, soi-disant je n’aurais pas apporté de preuves convaincantes que je reviendrai ensuite en Russie. J’ai un enfant de huit ans à charge, des parents de 73 ans, ce n’est pas suffisant peut-être ? Il faut croire qu’il y a d’autres raisons. Sans doute qu’ils ont peur que je décède là-bas, mais je n’en ai pas du tout l’intention ! Ils m’ont refusé le visa en octobre dernier. Vous pouvez l’écrire – j’estime que c’est une honte ! Mon médecin traitant habite à Londres, c’est lui qui m’avait soutenu devant la Cour Européenne au moment du jugement. J’ai besoin d’aller le voir, de passer des tests médicaux, pour déterminer la suite du traitement. Depuis 1993 je me suis rendu en Grande-Bretagne une soixantaine de fois. Et depuis que l’on m’a rendu mon passeport, j’ai été plusieurs fois à l’étranger, j’ai vu différents médecins. Et je ne suis resté nulle part, je n’ai demandé aucune aide, je n’ai pas demandé l’asile politique. Mais les anglais me refusent l’entrée sur leur territoire…
Interview menée par la journaliste russe Zoïa Svetova, traduction: l'ObservatriceLibellés : Aleksanian, traduction